Bagarres économiques autour du moteur RD-180

Il y a quelques jours, RT, le média russe a publié une dépêche au titre provocateur "Une interdiction d'exportation du moteur RD-180 pourrait arrêter le programme spatial US".
http://rt.com/news/russian-rocket-engine-ban-039/
Et l'article d'expliquer que le conseil de sécurité russe pourrait décider d'une telle interdiction. Bigre !
Mais au delà d'une certaine surenchère journalistique, conséquence probable des tensions politiques actuelles entre Russie et US (RT est un média semi officiel et pro gouvernemental), l'article se révèle surtout être le dernier épisode d'une longue bataille économique autour du RD-180.

Cela peu été évoqué sur le forum, j'en profite donc pour faire un petit résumé des rounds précédents :

+ Début 90, Le RD-180 est dérivé du RD-170 (celui d'Energuia-Bourane) à la demande de Lockheed Martin pour motoriser les nouvelles versions des Atlas. Un contrat pour la fabrication de 50 moteurs est signé en 1996 par le fabricant Energomash pour livrer Lockheed via RocketDyne.

+ 2011, la cour des comptes russe déclare que les prix de ventes des RD 180 couvrent moins de la moitié des couts de production. C'est un appel clair à une renégociation des prix de ventes du contrat initial.
http://en.rian.ru/russia/20110511/163977154.html

La position américaine, d'après ce que j'ai pu lire, est alors d'estimer que Energomash n'a en fait aucune idée de ses couts de production et que, comme pour les vols Soyouz, les russes ne cherchent qu'a facturer au maximum ce qui est devenu indispensable pour les USA !
Que s'est il passé ensuite, mystère, des négociations ont certainement eu lieu, cela a du être saignant, mais au final les prix de vente n'ont apparemment pas changé.

+ Avril 2013, un nouvel épisode initié cette fois par ... Orbital. Le fabricant des Antares cherche en effet un nouveau moteur pour remplacer les NK-33 lorsque leur stock sera épuisés.
ULA, qui a repris la gestion des Atlas, bloque toute accord en affirmant avoir l'exclusivité sur ce moteur. Orbital attaque donc ULA pour abus de position dominante et réclame plus de 500 M$. La procédure est en cours.
http://www.spacenews.com/article/launch-report/35956orbital-sues-ula-seeks-rd-180-engines-515-million-in-damages

+ 27 Aout 2013, dernier épisode donc, au travers de la dépèche de RT, les russes relancent les négociations sur les prix.
Cette fois ci, le coté russe est représenté par RKK Energuia qui a repris Energomash et qui est dans une santé financière fragile. Les russes seront donc très certainement beaucoup plus durs dans les futurs négos de prix avec ULA.  

Les prochains épisodes risquent donc d'être intéressants, notamment :
+ Le gouvernement russe interdira t il vraiment les ventes ? - peu probable à mon avis.
+ Orbital gagnera t il son procès ? - probable et cela permettrait peut être même à ULA de maintenir ses prix, la production de RD-180 augmenterait et donc permettra de réduire les couts de fabrication.
+ La dernière inconnue est la réaction de l'USAF, premier client des Atlas. Va t elle être échaudé par la menace russe et pousser pour une Atlas 100% US ou une SpaceX FH ?

Pour moi c'est un de ces chantages dont les Russes sont spécialistes. Ils rappellent aux Américains que la moitié de leur programme spatial militaire ne pourrait exister sans leur RD-180, et qu'ils vont donc devoir passer à la caisse.

Interdire l'export du RD-180 serait économiquement suicidaire pour les Russes, et politiquement ce serait un acte extrêmement grave. Jamais les Américains n pourraient à nouveau avoir confiance en la Russie après un coup comme ça.

Cela dit, une attaque américaine (et française 8-)) sur le DOM-TOM russe qu'est la Syrie constitue un acte bien plus grave. Ces affaires là doivent être absolument passionnantes à vivre de l'intérieur !

nikolai39 a écrit:Interdire l'export du RD-180 serait économiquement suicidaire pour les Russes

Tu as raison Nikolai, d'autant qu'il doit y avoir pas mal de pièces communes (combien ?) avec les autres moteurs de la gamme, RD-171 de Zenit et les futurs RD-191 de Angara, dont les couts augmenteraient en cas d'arrêt du RD-180.

Les négotiations doivent effectivement être passionnantes !

Cela rappelle en tout cas, la fragilité du spatial américain dans pas mal de domaines. Ce qui était un peu masqué du temps de la navette devient criant :
- motorisation de certains EELV dépendant complètement d'accords commerciaux avec les russes
- pas de capsule pour lancer leurs équipages avant au moins 2018.... et donc dépendance des Soyouz russes (et avec Atlas 5 comme lanceur prévu pour la CST-100 .... le Dream Chaser)

Et bien sûr un arrière plan diplomatique actuel plutôt tendu. :affraid:

montmein69 a écrit:Cela rappelle en tout cas, la fragilité du spatial américain dans pas mal de domaines. Ce qui était un peu masqué du temps de la navette devient criant :
- motorisation de certains EELV dépendant complètement d'accords commerciaux avec les russes
- pas de capsule pour lancer leurs équipages avant au moins 2018.... et donc dépendance des Soyouz russes (et avec Atlas 5 comme lanceur prévu pour la CST-100 .... le Dream Chaser)

Et bien sûr un arrière plan diplomatique actuel plutôt tendu. :affraid:

Ton constat est juste, l'avenir avec SpaceX et le programme SLS/Rion ramènent les USA à une vraie autonomie dans le domaine spatiale. Mais je suis toujours effaré de voir à quel point ce pays a pu sacrifier son indépandance dans ce domaine.

Lolodesbois a écrit:
Ton constat est juste, l'avenir avec SpaceX et le programme SLS/Rion ramènent les USA à une vraie autonomie dans le domaine spatiale. Mais je suis toujours effaré de voir à quel point ce pays a pu sacrifier son indépandance dans ce domaine.

Ne pas oublier aussi la Delta IV et la Delta IV Heavy construits par Boeing et utilisant une motorisation dérivée de celle de la navette. (RS 68 pour le premier ètage)
Tout n'est pas noir, et il peut y avoir des solutions de remplacement (au moins partielle) si jamais la situation devenait plus critique pour l'accès aux moteurs russes. Mais cela aura un coût.
Le SLS lui restera un lanceur cher .... AMHA vraiment peu crédible qu'il puisse être utilisé pour des lancements LEO ou GTO comme envisagé au début du programme au cas où le privé n'aurait pas réussi son challenge. D'ailleurs le moteur développé pour le SLS (RS-25D/E héritage aussi du SSME) pourrait peut-être offrir une solution ?

Quelques remarques.
ULA a des RD-180 en stock pour quelques années. De plus le partenariat ne portait pas simplement sur l'achat mais également sur le transfert de techno et la fabrication de ces moteurs aux USA. Même si cette dernière étape n'a jamais été réalisée (coût, qualif) PWR les peut fabriquer sur place.
Ensuite il y a la Delta IV qui, bien que plus chère, peut prendre la relève en cas de gros problème sur l'Atlas.

L'article cité évoquait une première fourniture de 63 moteurs (dont 40 déjà utilisés). Et le renouvellement de contrat (fin 2012) pour 31 moteurs. Cette dernière livraison pourrait être l'objet de l'embargo.

A specially created joint venture, RD-AMROSS, between NPO Energomash and Pratt & Whitney Rocketdyne, has already delivered 63 engines to the US worth $11-15 million apiece, reportedly 40 of them have already been used. In December 2012, a new contract was signed to deliver another 31 engines. But this contract is now being reconsidered by Russia’s Security Council, according to Izvestia.

Evidemment une rupture de contrat serait un pas de plus dans l'escalade entre les deux puissances ..... et la Russie en paierait aussi le prix avec un coup sérieux à Energomash ... qui n'a pas d'autre client pour lui acheter des RD-180.

On sait que dans les "manoeuvres diplomatiques"  chacun gonfle la poitrine et montre ses biceps en s'échangeant des sourires crispés .... espérons qu'ils ne se voleront pas dans les plumes en se jetant au visage autre chose que des paragraphes d'accords commerciaux :affraid:

Un très long article de j Foust sur "The space review" concernant ce sujet
http://www.thespacereview.com/article/2384/1

Foust évoque la polémique autour du RD-180 pour rebondir sur une initiative de l'US air Force que je ne connaissais pas : Le Hydrocarbon Boost Program.

En résumé, l'Air Force identifie comme critique le manque aux USA d'un moteur concurrent du RD 180 (poussée de 400t, haute Isp et cycle étagé riche en oxygène). Ils trouvent qu'il n'y a pas assez d'efforts dans ce domaine qui est bien plus important que de développer des moteurs H2/O2 (RS25 et J-2X) ou réanimer les vieux F1 comme le fait la NASA.

l'Air Force a donc un programme de recherche pour cette technologie budgété jusqu'en 2020 afin de rattraper les russes et ne pas se faire dépasser par les chinois !!

Le développement du SLS par la NASA est jugé comme incertain dans l'environnement budgétaire. Les moteurs SpaceX sont considérés comme basiques. Enfin la fabrication aux US des RD-180 apparait comme un non sens économique. 

Bref, je pense que l'Air Force n'est pas mécontente des éructations russes sur le RD-180, cela lui permet de réclamer et dépenser son budget dans un secteur sans concurrence aux US...

La dépendance des États-Unis vis à vis de fournisseurs étrangers est le reflet d'une approche libérale (au sens politico économique) de l'industrie spatiale. Dans ce contexte, si vous laissez des industriels faire leur marché pour construire leur fusée, ils chercheront en règle générale à acheter leurs composants là où cela leur revient le moins cher s'il existe une offre couvrant leur besoin. Orbital a largement appliqué cette politique comme le constructeur de l'Atlas V. Si SpaceX n'en a pas fait autant c'est que sans doute cette société n'a pas trouvé chaussure à son pied (c a d des composants dont le prix était compatible avec leurs objectifs tarifaires) dans l'offre existante.

cosmiste a écrit:
En résumé, l'Air Force identifie comme critique le manque aux USA d'un moteur concurrent du RD 180 (poussée de 400t, haute Isp et cycle étagé riche en oxygène). Ils trouvent qu'il n'y a pas assez d'efforts dans ce domaine qui est bien plus important que de développer des moteurs H2/O2 (RS25 et J-2X) ou réanimer les vieux F1 comme le fait la NASA.
Bref, je pense que l'Air Force n'est pas mécontente des éructations russes sur le RD-180, cela lui permet de réclamer et dépenser son budget dans un secteur sans concurrence aux US...

Comme d’habitude l'Air Force veut toujours plus d'argent pour mille et un programme de recherche sans réelle nécessité, l'Air Force c'est comme un trou noir, si on lui accorderait tout ce qu'elle souhaiterait elle finirait par avaler tout le budget fédérale américain pour finalement pas grand chose.:megalol: