Le Monde : Repousser les frontières de l'espace
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http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3238,36-754577@51-747343,0.html
Roland Lehoucq est astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique. Ses travaux portent sur la forme de l'Univers
Repousser les frontières de l'espace
LE MONDE | 25.03.06 | 17h27 • Mis à jour le 25.03.06 | 18h49
Etats-Unis et Chine veulent ressusciter les voyages humains dans l'espace lointain et retourner sur la Lune d'ici à 2020. Comment le feront-ils ?
Nous ne retournerons pas sur la Lune exactement comme nous l'avons fait lors du programme Apollo (de 1969 à 1972), dont on a perdu la mémoire technique. On doit repenser un programme lunaire tant à l'aune de nos progrès techniques qu'à celle de nos peurs.
La NASA a par deux fois perdu sept personnes, et les contraintes de sécurité seront bien plus fortes qu'à l'époque d'Apollo, où des risques incroyables ont été pris selon nos critères actuels. Cela dit, il ne faut pas attendre de révolution dans le concept général des fusées, car aucune alternative acceptable à la propulsion chimique n'a été trouvée. Son concept est simple : les gaz produits par la combustion du carburant sont éjectés vers l'arrière à grande vitesse, et du coup, par réaction, la fusée va vers l'avant.
Finalement, nous en sommes toujours à l'âge de pierre du vol spatial...
Effectivement, notre mode de propulsion est limité. Une fois les réservoirs vides, ce qui arrive très vite, le moteur s'arrête et l'engin ne fait que continuer sur sa lancée, en vol balistique. On pourrait croire qu'il suffit d'agrandir les réservoirs et d'emporter plus de carburant pour augmenter la vitesse du vaisseau, mais c'est un leurre.
Imaginez une fusée dont la charge utile ne serait que d'un atome d'hydrogène. Même si on prend toute la masse de l'Univers observable comme carburant, la vitesse maximale obtenue ne sera que de 1 800 kilomètres par seconde. Cela peut sembler beaucoup, mais c'est ridicule étant donné l'immensité de l'espace. Avec cette technique, on va certes retourner sur la Lune, mais ce sera une autre affaire que d'y aller régulièrement et de s'y installer.
Qu'en est-il d'un voyage vers Mars, souvent présenté par les agences spatiales comme la grande aventure du XXIe siècle ?
Actuellement, pour aller sur Mars, nous devons réutiliser la méthode employée pour aller sur la Lune. Ce qui prendra six mois aller, six mois retour, avec un séjour d'un an sur place. Pour comparaison, seuls quelques jours sont nécessaires pour aller sur la Lune et en revenir. Les difficultés de ce voyage sont innombrables : en vol balistique, le demi-tour en cas de problème est impossible ; il faut pouvoir survivre en autonomie totale dans le milieu ultrahostile qu'est l'espace, sans compter les tensions psychologiques et les problèmes physiques dus au vol en apesanteur ; il faudra concevoir des protections contre le rayonnement cosmique et les particules de haute énergie émises par le Soleil ; auparavant, il aura fallu déposer sur Mars, grâce à des missions automatiques, de quoi construire une base, de quoi tenir un an, et aussi le carburant pour le retour...
Dans "2001, l'Odyssée de l'espace", un vaisseau habité part pour Jupiter. Est-ce envisageable ?
Pour aller se promener du côté de Jupiter, qui se situe à 5,2 unités astronomiques du Soleil, alors que Mars n'est qu'à 1,5, il faut changer de paradigme de propulsion. Les sondes Voyager ont mis près de deux ans pour s'y rendre, et elles sortent actuellement du système solaire à des vitesses comprises entre 15 et 20 kilomètres par seconde.
Pour envisager un vol humain vers Jupiter, il faudra atteindre des vitesses de l'ordre de 100 km/seconde, ce qui n'est pas possible actuellement. On aura besoin d'un moteur électrique qui ionise puis accélère un gaz de propulsion à très grande vitesse. Pour obtenir une telle capacité énergétique, pas de miracle : il faut du nucléaire. Dans un gramme de matière, on extrait en effet un million de fois plus d'énergie nucléaire que d'énergie chimique. Des moteurs de ce type ont déjà été envisagés... et abandonnés.
A quand le départ d'un vol habité pour une étoile proche ?
Le voyage interstellaire n'est pas pour demain, tout simplement car nous ne disposons pas des ressources énergétiques nécessaires pour le mener à bien. En 1969, les moteurs de la fusée Saturn V utilisée pour les missions Apollo produisaient, au décollage, une puissance équivalente à 0,5 % de la production mondiale d'énergie. Cela donne une idée de ce que l'humanité peut "gaspiller" pour un grand projet.
Imaginons que nous souhaitions lancer un vaisseau de 1 000 tonnes vers Proxima du Centaure, l'étoile la plus proche du Soleil, située à 4,3 années-lumière. Pour que le voyage dure moins de cinquante ans, il faudrait donner au vaisseau une vitesse moyenne égale à 10 % de celle de la lumière, soit 30 000 km/seconde. Et cela demanderait de collecter l'équivalent de plusieurs années de notre consommation mondiale d'énergie !
Peut-on imaginer, un jour, se déplacer à sa guise dans la galaxie, à la manière de "La Guerre des étoiles" ?
A supposer que l'on puisse accélérer un vaisseau jusqu'à la moitié de la vitesse de la lumière, ce qui est déjà considérable, il faudrait des siècles pour explorer les étoiles de la banlieue du système solaire... Chaque fois que je manipule ces chiffres astronomiques, cela me démoralise : je crains que nous ne soyons irrémédiablement collés à la surface de la Terre. Sauf si on trouve une solution chic. Actuellement, notre seule option pour aller plus vite d'un point à un autre est d'augmenter la vitesse.
Mais le problème peut être retourné : on peut décider de réduire la distance ! La distance semble une notion intangible, mais elle ne l'est pas forcément, comme Einstein l'a montré. L'espace est une entité malléable, déformée par la présence de matière. On peut donc imaginer de se déplacer en contractant les distances, mais ce n'est pas vraiment simple non plus. Cela implique de maîtriser et de manipuler des objets très compacts et très massifs comme les trous noirs. Ce qui est évidemment impossible, à moins, peut-être, d'avoir la force d'un Jedi...
Propos recueillis par Pierre Barthélémy
Article paru dans l'édition du 26.03.06
Roland Lehoucq est astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique. Ses travaux portent sur la forme de l'Univers
Repousser les frontières de l'espace
LE MONDE | 25.03.06 | 17h27 • Mis à jour le 25.03.06 | 18h49
Etats-Unis et Chine veulent ressusciter les voyages humains dans l'espace lointain et retourner sur la Lune d'ici à 2020. Comment le feront-ils ?
Nous ne retournerons pas sur la Lune exactement comme nous l'avons fait lors du programme Apollo (de 1969 à 1972), dont on a perdu la mémoire technique. On doit repenser un programme lunaire tant à l'aune de nos progrès techniques qu'à celle de nos peurs.
La NASA a par deux fois perdu sept personnes, et les contraintes de sécurité seront bien plus fortes qu'à l'époque d'Apollo, où des risques incroyables ont été pris selon nos critères actuels. Cela dit, il ne faut pas attendre de révolution dans le concept général des fusées, car aucune alternative acceptable à la propulsion chimique n'a été trouvée. Son concept est simple : les gaz produits par la combustion du carburant sont éjectés vers l'arrière à grande vitesse, et du coup, par réaction, la fusée va vers l'avant.
Finalement, nous en sommes toujours à l'âge de pierre du vol spatial...
Effectivement, notre mode de propulsion est limité. Une fois les réservoirs vides, ce qui arrive très vite, le moteur s'arrête et l'engin ne fait que continuer sur sa lancée, en vol balistique. On pourrait croire qu'il suffit d'agrandir les réservoirs et d'emporter plus de carburant pour augmenter la vitesse du vaisseau, mais c'est un leurre.
Imaginez une fusée dont la charge utile ne serait que d'un atome d'hydrogène. Même si on prend toute la masse de l'Univers observable comme carburant, la vitesse maximale obtenue ne sera que de 1 800 kilomètres par seconde. Cela peut sembler beaucoup, mais c'est ridicule étant donné l'immensité de l'espace. Avec cette technique, on va certes retourner sur la Lune, mais ce sera une autre affaire que d'y aller régulièrement et de s'y installer.
Qu'en est-il d'un voyage vers Mars, souvent présenté par les agences spatiales comme la grande aventure du XXIe siècle ?
Actuellement, pour aller sur Mars, nous devons réutiliser la méthode employée pour aller sur la Lune. Ce qui prendra six mois aller, six mois retour, avec un séjour d'un an sur place. Pour comparaison, seuls quelques jours sont nécessaires pour aller sur la Lune et en revenir. Les difficultés de ce voyage sont innombrables : en vol balistique, le demi-tour en cas de problème est impossible ; il faut pouvoir survivre en autonomie totale dans le milieu ultrahostile qu'est l'espace, sans compter les tensions psychologiques et les problèmes physiques dus au vol en apesanteur ; il faudra concevoir des protections contre le rayonnement cosmique et les particules de haute énergie émises par le Soleil ; auparavant, il aura fallu déposer sur Mars, grâce à des missions automatiques, de quoi construire une base, de quoi tenir un an, et aussi le carburant pour le retour...
Dans "2001, l'Odyssée de l'espace", un vaisseau habité part pour Jupiter. Est-ce envisageable ?
Pour aller se promener du côté de Jupiter, qui se situe à 5,2 unités astronomiques du Soleil, alors que Mars n'est qu'à 1,5, il faut changer de paradigme de propulsion. Les sondes Voyager ont mis près de deux ans pour s'y rendre, et elles sortent actuellement du système solaire à des vitesses comprises entre 15 et 20 kilomètres par seconde.
Pour envisager un vol humain vers Jupiter, il faudra atteindre des vitesses de l'ordre de 100 km/seconde, ce qui n'est pas possible actuellement. On aura besoin d'un moteur électrique qui ionise puis accélère un gaz de propulsion à très grande vitesse. Pour obtenir une telle capacité énergétique, pas de miracle : il faut du nucléaire. Dans un gramme de matière, on extrait en effet un million de fois plus d'énergie nucléaire que d'énergie chimique. Des moteurs de ce type ont déjà été envisagés... et abandonnés.
A quand le départ d'un vol habité pour une étoile proche ?
Le voyage interstellaire n'est pas pour demain, tout simplement car nous ne disposons pas des ressources énergétiques nécessaires pour le mener à bien. En 1969, les moteurs de la fusée Saturn V utilisée pour les missions Apollo produisaient, au décollage, une puissance équivalente à 0,5 % de la production mondiale d'énergie. Cela donne une idée de ce que l'humanité peut "gaspiller" pour un grand projet.
Imaginons que nous souhaitions lancer un vaisseau de 1 000 tonnes vers Proxima du Centaure, l'étoile la plus proche du Soleil, située à 4,3 années-lumière. Pour que le voyage dure moins de cinquante ans, il faudrait donner au vaisseau une vitesse moyenne égale à 10 % de celle de la lumière, soit 30 000 km/seconde. Et cela demanderait de collecter l'équivalent de plusieurs années de notre consommation mondiale d'énergie !
Peut-on imaginer, un jour, se déplacer à sa guise dans la galaxie, à la manière de "La Guerre des étoiles" ?
A supposer que l'on puisse accélérer un vaisseau jusqu'à la moitié de la vitesse de la lumière, ce qui est déjà considérable, il faudrait des siècles pour explorer les étoiles de la banlieue du système solaire... Chaque fois que je manipule ces chiffres astronomiques, cela me démoralise : je crains que nous ne soyons irrémédiablement collés à la surface de la Terre. Sauf si on trouve une solution chic. Actuellement, notre seule option pour aller plus vite d'un point à un autre est d'augmenter la vitesse.
Mais le problème peut être retourné : on peut décider de réduire la distance ! La distance semble une notion intangible, mais elle ne l'est pas forcément, comme Einstein l'a montré. L'espace est une entité malléable, déformée par la présence de matière. On peut donc imaginer de se déplacer en contractant les distances, mais ce n'est pas vraiment simple non plus. Cela implique de maîtriser et de manipuler des objets très compacts et très massifs comme les trous noirs. Ce qui est évidemment impossible, à moins, peut-être, d'avoir la force d'un Jedi...
Propos recueillis par Pierre Barthélémy
Article paru dans l'édition du 26.03.06
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